Paroles de Sarkozy
Interrogé sur le "non" corse au référendum du 6 juillet, le ministre de l'Intérieur a assuré avoir pris en compte "les leçons de la démocratie". "Le gouvernement a déjà beaucoup fait et il continuera à faire (...). Nous poursuivrons ceux qui portent des cagoules et qui font des attentats et en même temps nous continuerons à nous battre pour le développement de l'île", a-t-il souligné. ""La violence n'a rien amené à l'île… » ajoutant « La réponse à la question corse ne peut pas être qu'une réponse policière ».

"Je ne vois pas comment on peut sortir la Corse de là où elle est avec chacun qui reste tranquillement chez lui", a-t-il dit commentant la décision des élus nationalistes de ne plus siéger à l'assemblée territoriale corse.

Sur l'arrestation d'Yvan Colonna, Nicolas Sarkozy a affirmé que "ce qui est choquant n'est pas qu'on l'ait arrêté mais qu'il faille tant de temps pour l'arrêter". Nicolas Sarkozy, s'en est pris lundi à "la dérive mafieuse" des poseurs de bombes en Corse et sur le continent, après les attentats de Nice et de Bastia dimanche.

Il a promis sur RTL de "mettre les moyens" nécessaires pour arrêter "les cagoulés, les clandestins qui mettent des bombes (et) qui auraient pu tuer à Nice" lors du double attentat aux entrées de la trésorerie générale et de la direction des Douanes dans la nuit de samedi à dimanche.

Le ministre de l'Intérieur a estimé qu'avec cette "dérive mafieuse, l'image qui est donnée de la Corse est détestable, mais ce n'est pas l'image des Corses (qui) sont victimes" de cette violence, a-t-il estimé.

Il a jugé "choquante" l'affirmation de certains qui, en Corse, soutiennent les personnes qui ont aidé Yvan Colonna dans sa fuite de 4 ans, en utilisant l'argument de la tradition corse de l'hospitalité. Cette "argumentation est particulièrement choquante, il ne faut pas se moquer de la tradition corse", a souligné le ministre de l'Intérieur.

Il a décliné la politique du gouvernement pour la Corse en "deux volets, la sécurité et le développement". C'est dans le cadre du "développement" que M. Sarkozy a "repris un à un tous les contacts avec les responsables de la société civile en Corse" depuis le référendum du 6 juillet.

Enfin, interrogé sur le fait que les élus nationalistes ont décidé de ne plus siéger à l'Assemblée de Corse après la victoire du non au référendum, M. Sarkzy s'est borné à estimer que "c'est leur problème."

De telles déclarations appellent quelques remarques. Sur le fond, on ne peut que donner raison au Ministre de l’Intérieur qui a fort affaire pour remonter la pente où l’a fait descendre le « non » au référendum. Il va devoir démontrer à ses pairs qu’il ne s’est pas trompé de route et que son regard de Chimène pour la Corse n’a pas mené paradoxalement à une situation pire qu’avant le référendum. C’est pourquoi il devrait se saisir de la fraude électorale pour tenter de recoller les morceaux. L’incantation habituelle dénonçant la « dérive mafieuse » est inutile. Pire, elle démontre que Nicolas Sarkozy manque d’arguments en direction de l’opinion publique continentale. Il se sert de cette vieille lune pour tenter de retrouver les faveurs des continentaux qui pourraient l’accuser d’avoir « servi la soupe aux nationalistes ».

La notion de dérive mafieuse apparaît d’abord dans le langage de l’ANC cette organisation née de la scission d’avec le principal tronc du mouvement nationaliste. Dirigée par Pierre Poggioli, cette petite organisation prétend se battre sur de nouvelles bases éthiques et dénonce donc « la dérive mafieuse ». Visée à l’époque, le FLNC et la Cuncolta qui ne sont pas encore divisés en organisations ennemies. En 1991, la scission intervient. La majorité du FLNC devient le FLNC Canal habituel et donne naissance à la vitrine légale le MPA dont l’un des dirigeants les plus connus est Alain Orsoni. L’autre branche donne le FLNC Canal historique et garde la Cuncolta. Elle a pour dirigeants connus Charles Pieri, François Santoni, Jean Biancucci et Jean-Michel Rossi. Ce sont ces derniers qui vont accuser le MPA/Canal habituel de dérive mafieuse en prenant pour exemple l’alliance entre le MPA et Lauricella, mafieux sicilien, alors président de la CODIL la société qui gère l’îlot de Cavallo.

En utilisant ce terme qui décrit plutôt la dégénérescence de la société corse plutôt qu’un état, Nicolas Sarkozy prend le risque de se voir accuser de faire de l’anti-corsisme. Il faut cependant lui reconnaître de toujours faire la différence entre les Corses et les organisations clandestines. Si le ministre de l’intérieur veut dénoncer une véritable situation de mafiosisation, on se demande bien ce qui l’empêche lui et ses services de sévir avec la rigueur nécessaire. On reste par exemple interdit devant l’inactivité surprenante du pôle économique et financier lancé à grands renforts de publicité par le procureur Legras et qui n’a quasiment rien « découvert » depuis sa création. De deux choses l’une : ou la Corse n’a jamais été telle qu’elle a été décrite ou les services d’enquête sont particulièrement lamentables et il faut les réformer. La dernière hypothèse serait que les délinquants corses seraient particulièrement performants, affirmation qui démontrerait qu’au moins dans un domaine la Corse serait en situation d’excellence. Tous les Corses qui connaissent leur île en doutent fortement.

Le gouvernement est en situation d’échec en Corse. La raison de cet échec est qu’il paie des décennies de laisser-aller et qu’il faut maintenant remonter la pente. Durant des décennies les enquêtes concernant l’argent sale n’ont pas été menées. On a préféré un combat idéologique à un combat de droit commun. Aujourd’hui l’opacité des affaires est arrivée à un point tel qu’il est difficile de savoir ce qui est blanc et ce qui est noir. Mais il faudra bien un jour trancher dans le vif. Mais il faudra agir avec une réelle circonspection de manière à empêcher de nouvelles synergies entre le grand banditisme souvent devenu entreprenarial, des clandestins souvent installés aux affaires et une classe politique dont une partie est devenue partie prenante de ce magmas. La Corse en a besoin pour se sortir de son marasme. Mais elle a aussi besoin de manœuvres fines. Nicolas Sarkozy qui est un orgueilleux est touché au vif. C’est d’ailleurs peut-être une faute majeure du FLNC qui compte sur la cicatrisation rapide des blessures d’amour-propre des membres du gouvernement. Il a oublié entre-temps que tous ses dirigeants ont payé un jour ou l’autre leurs crimes de plusieurs années de prison. Au risque d’ailleurs d’ouvrir la boîte de Pandore d’une jeunesse nationaliste peu nombreuse mais très décidée mais très peu politisée. Le danger est au présent et au futur. Mais il requiert la démonstration d’une grande fermeté intelligente de la part du gouvernement. Toute faiblesse serait aujourd’hui criminogène et grosse de drames à venir.


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