Va-t-on profiter de l’été pour étouffer l’affaire Alègre. Patricia et Fanny, ancienne prostituées n’ont pas été autorisées à se porter partie civile, ce qui absolument stupéfiant lorsqu’on sait que ceux qu’elles accusent ont pu le faire. Nous publions ci-dessous l’article de la Dépêche qui décrit cet « hénaurmité ». Arnaud de Montebourg a donné son sentiment à la Dépêche qui aura réussi un parcours exemplaire d’un point-de-vue journalistique.
Patricia et Fanny : témoins, pas victimes...
Témoins mais pas victimes. En infirmant, hier, l'ordonnance délivrée le 10 juin par le juge d'instruction Serge Lemoine, en charge du volet homicides de l'affaire Alègre, la chambre de l'accusation de la cour d'appel de Toulouse a donné raison au parquet. Dans un arrêt très succinct, les magistrats ont conclu à l'irrecevabilité des parties civiles de Patricia et Fanny. Les deux ex-prostituées dont les dépositions ont déclenché la tempête ne peuvent pas faire valoir un quelconque préjudice dans le meurtre de Line Galbardi, tuée dans la nuit du 2 au 3 janvier 1992 dans une chambre de l'hôtel de l'Europe. Les deux jeunes femmes et leurs avocats Me Raphaël Darribère et Me Muriel Amar considéraient pourtant que la scène insoutenable à laquelle elles avaient été contraintes d'assister, selon elles, sous la menace de Patrice Alègre et Lakhdar Messaoudène, les autorisaient à se porter parties civiles. Leurs expertises psychiatriques ont d'ailleurs relevé différents traumatismes en relation directe avec ce meurtre présenté comme un « avertissement ».
« J'aurai préféré que cette souffrance soit entendue, a expliqué, hier Me Muriel Amar. C'est contrariant dans la mesure où l'on constate que la justice ne leur fait pas de cadeau. Au juge non plus. Mais ça n'empêchera pas l'affaire de continuer. Il ne faut pas faire la confusion avec le reste du dossier ». De fait, Patricia et Fanny restent parties civiles avec trois autres anciennes prostituées dans l'instruction judiciaire ouverte entre autres pour « viols, proxénétisme en bande organisée et actes de tortures ». « Cela est essentiel, rappelle Me Raphaël Darribère. La décision de la chambre de l'instruction relève d'un débat strictement juridique et finalement assez technique. Il n'en demeure pas moins que ma cliente, Patricia, est aujourd'hui encore gravement traumatisée par l'assassinat de Line Galbardi dont elle est un des principaux témoins. C'est elle qui est sortie la première du silence… », conclut l'avocat. Onze ans après les faits, la mort de Line Galbardi décrite par Patricia et Fanny reste au centre des nouveaux développements de l'enquête, avec le meurtre du travesti Claude Martinez, quelques semaines plus tard. Deux crimes attribués à Patrice Alègre qui les a avoués avant de se rétracter. Entre affaires criminelles non élucidées ou classées suicides, se sont ensuite progressivement dessinées les carences de l'appareil judiciaire et le profil d'un homme évoluant aux confins du monde de la nuit, de la drogue, du sexe et de la prostitution. Dans des milieux très variés. Ce sont les deux ex-prostituées qui ont également dévoilé le rôle de Lakhdar Messaoudène, proxénète rentré d'Algérie pour clamer lui aussi son innocence. Lakhdar, soupçonné de savoir beaucoup de choses, et qui sera à nouveau entendu mardi prochain par le juge Lemoine.
(source La Dépêche, G.-R. SOUILLÈS)
LE DÉPUTÉ SOCIALISTE ARNAUD MONTEBOURG S'EN PREND À DOMINIQUE PERBEN
« L'affaire Alègre dérange le pouvoir »
Dans une lettre que vous lui avez adressée, vous accusez Dominique Perben, le garde des Sceaux, de vouloir étouffer l'affaire Alègre. Qu'est ce qui vous permet de dire cela ?
Arnaud Montebourg : D'abord la personnalité du procureur général qu'il a choisi. Perben a choisi Monsieur Barrau qui a toujours été un zélé serviteur du pouvoir exécutif. Ensuite, monsieur Barrau a expliqué qu'il fallait recadrer l'enquête, ce qui est curieux de la part d'un Procureur. Cela signifie qu'il existerait des éléments dans le cadre qui lui conviendraient et d'autres qui lui déplairaient. Or la justice est indépendante, c'est-à-dire que les magistrats instructeurs qui enquêtent ne peuvent pas se laisser dicter par le Procureur une conception du cadrage de leur enquête. Cette conception caporaliste de la justice est incompatible avec le bon fonctionnement de celle-ci. En outre, les avocats se plaignent que la justice passe plus de temps à enquêter sur les témoins à charge d'un certain nombre de personnalités que sur la réalité de ce qu'ils dénoncent. Preuve qu'il y a une inversion des valeurs dans ce dossier. Enfin, il ne faut pas oublier la mutation du policier qui avait fait avouer à Alègre un certain nombre de meurtres. Tous ces éléments conjugués nous font craindre pour la vérité judiciaire et sa manifestation.
Dans le cadre de la procédure que faudrait-il faire pour que l'affaire avance ?
Il faudrait remettre en place le policier qui a été muté, laisser les magistrats instructeurs agir, et éviter toute pression du pouvoir exécutif sur la justice.
En quoi cette affaire dérange-t-elle le pouvoir actuel ?
Elle touche un des piliers du pouvoir, c'est-à-dire le président du CSA. Mr Baudis a été nommé à la tête d'une autorité indépendante alors qu'il est une personnalité dépendante d'une affaire judiciaire.
Mais quand il a été nommé à la tête du CSA, Baudis n'était pas mis en cause dans une affaire judiciaire…
Certes. Mais Baudis est un des instruments par lesquels le pouvoir contrôle les médias. Il n'y aucune indépendance du CSA par rapport au pouvoir exécutif.
Voilà pourquoi il faut surveiller cette affaire afin que ne puissent pas se reproduire les pratiques de Toubon qui avait affrété un hélicoptère pour faire pression sur des procureurs.
Recueilli par Jean-Pierre BEDEI, La Dépêche
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